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De Alain Kamal Martial
Mis en scène par Thierry Bédard
d'après un reportage tourné la nuit au large d'Anjouan et Mayotte, le 29 octobre 2005.
Images : Frédéric Bouvier
Le titre du texte original (quatrième version) est "Epilogue des noyés du kwassa-kwassa sur la plage où pourrit leur viande".
Avec : Mounir Hamza Hamada et anonymes.
Cette pièce "radiophonique", est présentée de manière à enfermer les spectateurs/auditeurs avec des voix captées sur ondes courtes. Des voix opposées à ce qui "reste" de l'entendement occidental. Thierry Bédard s'est appuyé sur les termes d'une conférence d'Etienne Balibar qui énonçait "l'idée de transformer
notre représentation de l'autre ou de l'étranger comme ennemi potentiel en celle d'un interlocuteur, conçu comme une ressource et une chance d'avenir plutôt que simplement comme un problème, comme un danger."
"(...) gens de la périphérie, nous sommes d'ailleurs, nous sommes les habitants des faubourgs de l'histoire, nous sommes les commensaux, non invités, passés par l'entrée de service de l'Occident, les intrus qui arrivent au spectacle de la modernité au moment où les lumières vont s'éteindre. Nous sommes en retard, et il est déjà tard dans l'histoire. Nous n'avons pas de passé, ou si nous en avons un, nous avons craché sur ses restes."
C'est à la suite de discussions autour de ce sujet, avec Alain Kamal Martial, sur la violence sociale, la violence faite à chaque personne fragilisée dans nos sociétés, en situation d'être l'étranger, que Thierry Bédard a imaginé cet événement. Après un voyage sur l'île de Mayotte, il a commandé cette l'histoire, là où d'une certaine manière
il n'y a plus d'histoires... "Il m'a adressé cet "Epilogue des noyés", sans cesse retravaillé, où parlent d'une façon hallucinée les noyés des kwassa-kwassa. Je pense souvent avec effroi à ces gens, et aux enfants innocents noyés dans l'Océan Indien. J'ai une petite fille qui s'est noyée, il y a quelques années, et a été sauvée par miracle. Mais les miracles sont très rares là où la misère règne."
"J'écris depuis un an un cycle qui s'intitule "Epilogues" (du ventre, des noyés, des trottoirs), il s'agit de créer une éruption de la parole là où jamais elle n'aurait pu émerger, de la bouche des cadavres, de la bouche d'un foetus, de la bouche des putes. Si ceux-là avaient eu la parole, qu'auraient-ils dit ?
Peut-être parce que j'ai besoin qu'on m'entende et que ma parole est silencieuse, que je dis la parole des autres, un peu comme si en joignant ma parole à d'autres paroles d'ici, en assemblant des paroles, il serait possible d'ériger le cri de ceux qu'on n'entend jamais, même s'il n'est pas sûr qu'on nous entende...
Je n'estime pas que je sois capable d'apporter une quelconque pensée ou une quelconque solution aux problèmes politiques. Je ne suis qu'un instinctif, foudroyé, chair tremblante face au hachage, au lynchage, au déchiquetage de la chair humaine, ça donne froid au dos.
J'écris juste les larmes de ceux qu'on ne verra jamais s'exprimer dans la presse, dans les médias c'est-à-dire les victimes et la peuplade. Je ne construis pas de sens, je me laisse prendre par la matière humaine, au-delà des sens des philosophies, des religions, des politiques qui me semblent des vérités partielles…Je crois que la vie est à découvrir dans les respirations, les odeurs de la chair, du soleil et non dans les idées..."
Alain Kamal-Martial